Écrit par Thomas GROSSE – Expert comptable associé Extencia – spécialiste de la pharmacie
Paru dans le Moniteur des pharmacies
Le regroupement de pharmacies est une opération qui bénéficie depuis plusieurs années d’un succès grandissant, contribuant notamment à un rééquilibrage plus cohérent de leur maillage territorial, qui plus est dans des zones présentant une surdensité officinale. Il peut procurer des opportunités qui apparaissent clairement évidentes, y compris pour des pharmaciens désireux de s’installer et ne disposant pas forcément de moyens financiers suffisants pour acquérir une officine de taille importante. Nous allons ainsi présenter les raisons pour lesquelles il peut s’avérer particulièrement intéressant, pour ces acquéreurs potentiels, de racheter plusieurs pharmacies en vue de les rassembler en un lieu d’exploitation unique.
- Une corrélation entre le prix de vente et la taille de la pharmacie
Intéressons-nous en premier lieu au marché de la transaction, et plus précisément en distinguant les pharmacies récemment cédées selon leurs niveaux de chiffres d’affaires.
Le graphique ci-dessous, tiré des dernières statistiques Interfimo, présente les prix de cession moyens par strates de chiffres d’affaires.
Source : Interfimo
Nous remarquons que les pharmacies dont le chiffre d’affaires se trouve inférieur à 1,2 million d’euros se sont vendues à près de 63% de leur chiffre d’affaires en 2016, poursuivant par ailleurs la tendance baissière amorcée depuis plusieurs années. A l’inverse, les officines, réalisant des chiffres d’affaires supérieurs à 2 millions d’euros, ne connaissent quant à elles toujours pas de baisse de prix et demeurent cédées autour de 85% de leur chiffre d’affaires. D’une manière générale, plus l’officine réalise un chiffre d’affaires important, plus elle se vend cher proportionnellement à celui-ci.
Ainsi, le rachat de deux officines distinctes se révèlera bien souvent nettement moins coûteux que ne peut l’être l’investissement dans une seule pharmacie, réalisant un volume d’affaires équivalant au cumul des chiffres d’affaires de ces deux officines. En effet, des économies pourront alors être réalisées sur le prix d’acquisition des officines à regrouper, mais également au niveau des droits d’enregistrement. Voici une illustration chiffrée de ce raisonnement :
PHIE A | PHIE B | PHIE C | |
CA HT | 800 | 900 | 1 700 |
Prix de cession moyen
(% du CA HT issu des statistiques Interfimo) |
504
(63% CA HT) |
567
(63% CA HT) |
1 394
(82% CA HT) |
Droits d’enregistrement | 21 | 24 | 65 |
Prix de cession + Droits d’enregistrement |
525 | 591 | 1 459 |
1 116 |
Données exprimées en K€
Si l’on s’en tient aux valeurs moyennes de cession pratiquées à l’échelle nationale, nous remarquons que le prix d’acquisition ainsi que les droits d’enregistrement nécessaires aux rachats de deux officines, atteignant respectivement 800 et 900 K€ de chiffres d’affaires, coûtera 343 K€ de moins qu’une opération de rachat d’une seule pharmacie réalisant un chiffre d’affaires de 1 700 K€. L’économie réalisée sur l’investissement peut donc s’avérer très importante…
Sur le plan juridique et fiscal, l’opération de regroupement pourra ensuite s’effectuer sous la forme d’une fusion de sociétés, ouvrant alors droit à un régime fiscal de faveur donnant lieu à des droits d’enregistrement réduits (375€ ou 500€ selon les cas). L’éligibilité à ce régime optionnel suppose que la fusion s’opère entre sociétés préalablement soumises à l’IS.
- Une corrélation entre l’évolution de l’activité et la taille de la pharmacie
L’évolution et la maîtrise des dépenses de l’Assurance maladie a des répercussions directes et immédiates sur l’activité officinale. Cette affirmation est d’autant plus exacte qu’il faut rappeler que le marché du médicament remboursable rassemble à lui seul, en moyenne, près des trois quarts du chiffre d’affaires de l’officine. De plus en plus d’officines se retrouvent donc désormais confrontées à un recul d’activité.
Si l’on se focalise sur la typologie des officines, le graphique ci-dessous, tiré des données statistiques du groupement CGP, distingue les variations de chiffres d’affaires entre 2015 et 2016, selon différentes strates de pharmacies classifiées en fonction de leurs volumes d’activité :
Source : Conseil Gestion Pharmacie
Le constat est sans appel. Plus l’officine génère un chiffre d’affaires important, plus la variation de ce dernier lui est aujourd’hui favorable. La tendance est ainsi progressive en fonction du niveau global de chiffre d’affaires atteint par les officines.
Cette tendance de « performance par la taille » se confirme actuellement d’année en année. Cela s’explique par une plus forte dépendance des « petites » pharmacies vis-à-vis du médicament remboursable et pour lesquelles, faute de moyens matériels, humains et financiers suffisants, la diversification de l’offre et des services se révèle souvent complexe à mettre en œuvre. Les officines de taille plus importante peuvent au contraire accroitre leur savoir-faire, améliorer leurs performances sur d’autres domaines plus porteurs que le marché purement pharmaceutique, tels la parapharmacie ou le matériel médical entre autres. De plus, il est à signaler qu’une hypothétique remise en cause future du monopole pharmaceutique serait nettement plus préjudiciable à terme pour les plus petites officines…
D’autre part, des divergences sont également visibles au niveau des marges résultant des chiffres d’affaires générés. En effet, toujours d’après les statistiques de CGP, nous remarquons une légère augmentation de la valeur des marges brutes (+ 0,7% en moyenne) des pharmacies réalisant plus d’1,5 million d’euros de chiffres d’affaires. A contrario, les marges des officines plus modestes, dont le chiffre d’affaires se trouve inférieur à 1,5 million, reculent de 1,2% en valeur, et de presque 2% si l’on ne retient que celles performant à moins d’1 million d’euros pour lesquelles l’évolution positive du taux de marge ne permet pas de compenser la baisse du chiffre d’affaires.
Enfin concernant l’EBE, les rentabilités dégagées par les entités de taille modeste ne sont pas toujours à la hauteur face à l’ampleur de leur endettement. En effet, les marges générées sont souvent insuffisantes, et les loyers immobiliers trop importants. Les pharmaciens titulaires de ces officines doivent donc, la plupart du temps, accroitre intensément leur temps de travail afin d’alléger au maximum, et dans la mesure du possible, leur masse salariale.
Face à ces constats, le regroupement d’officines représente indéniablement une réelle opportunité dans la recherche de la taille critique. En effet, il peut permettre aux officines d’optimiser leurs performances économiques. Il octroie, en outre, un renforcement évident de la force commerciale et de la faculté à élargir et diversifier l’offre (élargissement de l’espace de vente et des ressources humaines disponibles et spécialisables), une amélioration claire de la rentabilité du fait d’une mutualisation des achats et de la réalisation d’économies d’échelle, ainsi qu’un accroissement conséquent de la surface financière favorisant ainsi la capacité à investir (travaux, robotisation…).
- L’amélioration de la qualité globale du service offert aux clients et de la compétitivité
Le regroupement peut offrir aux officines l’opportunité de se positionner sur de nouveaux marchés, facteurs de différenciation par rapport aux autres confrères. Les pharmacies regroupées peuvent se doter des ressources financières, humaines et matérielles nécessaires pour se consacrer ou renforcer leur développement sur des segments d’activité, autres que la dispensation pharmaceutique.
En effet, le rapprochement entre officines peut effectivement concourir au développement de spécialisations du fait, d’une part d’espaces de vente plus vastes permettant au pharmacien d’avoir la possibilité de proposer une offre plus large et plus complète, et d’autre part de ressources humaines disponibles élargies, favorisant ainsi le succès de la diversification des activités. Il est en outre de plus en plus fréquent de constater, dans des structures regroupées et donc élargies, la présence de salariés spécifiquement dédiés à un domaine particulier souvent porteur (parapharmacie, phytothérapie, diététique, orthopédie, etc…), et aptes à le développer.
- L’accroissement de la force commerciale et du pouvoir de négociation
Le regroupement contribue à l’augmentation de la force commerciale des officines. L’effet volume lié à la mutualisation des achats attribue à la pharmacie regroupée un pouvoir de négociation accru vis-à-vis de ses fournisseurs qui lui accorderont ainsi des remises plus conséquentes. Sa politique tarifaire sera de ce fait plus extensible, et lui permettra de s’adapter, le cas échéant, à un environnement concurrentiel prononcé. Cette influence commerciale est bien évidemment applicable sur les produits hors médicaments remboursables, pour lesquels les marges ne demeurent pas encadrées.
- La réalisation d’économies d’échelle sur les frais généraux et les frais de personnel
Les économies d’échelle réalisées sur les charges de l’officine représentent l’un des avantages indéniables du regroupement.
La principale source d’économie est le loyer immobilier, du fait du rassemblement de plusieurs structures distinctes sur un même lieu d’exploitation. S’agissant généralement de la charge externe la plus lourde pesant sur l’officine, l’argument en faveur du regroupement peut donc rapidement être convaincant. Il conviendra néanmoins d’étudier au préalable les différents baux commerciaux des pharmacies, afin d’anticiper les résiliations nécessaires.
Les autres sources d’économies en matière de frais généraux se répercutent généralement sur le matériel informatique, la maintenance, les assurances et les divers honoraires et cotisations professionnelles.
Néanmoins, le regroupement peut parfois entrainer un phénomène de sureffectif, notamment au niveau du nombre de pharmaciens diplômés présents au moment de l’opération. L’explication la plus courante découle des seuils de chiffres d’affaires imposant la présence d’un certain nombre de diplômés au sein des officines, antérieurement au regroupement. Ainsi, certains postes de pharmaciens adjoints ou assistants ne répondent plus à cette obligation règlementaire suite au rapprochement. Les titulaires peuvent alors, s’ils le jugent nécessaire, avoir recours à des mesures visant à se séparer contractuellement du personnel concerné, soit par la voie d’une rupture conventionnelle en cas d’accord commun des parties, soit par une procédure de licenciement qu’il conviendra de justifier.
- L’accroissement de la capacité d’investissement en vue d’une amélioration de la productivité et d’une ouverture à de nouveaux marchés
Le regroupement peut permettre aux pharmaciens de se doter des ressources financières nécessaires à ces investissements, du fait de l’accroissement de la rentabilité de leur outil. Ils disposeront la plupart du temps d’un local de taille suffisante, souvent mieux adaptée à la mise en place de ces équipements.
Afin d’illustrer nos propos, l’exemple chiffré suivant, reprenant les moyennes issues des dernières statistiques publiées par CGP, démontre clairement la corrélation entre la taille de l’officine et les bénéfices pouvant être escomptés par le pharmacien :
PHIE A | PHIE B | PHIE C | |
CA HT | 800 | 900 | 1 700 |
Marge brute globale | 248
(31,05% CA HT) |
279
(31,05% CA HT) |
543
(31,93% CA HT) |
Frais de personnel * | – 50 | – 65 | – 120 |
Loyers | – 15
(1,83% CA HT) |
– 16
(1,83% CA HT) |
– 23
(1,33% CA HT) |
Autres charges externes | – 40
(4,98% CA HT) |
– 45
(4,98% CA HT) |
– 61
(3,61% CA HT) |
Rémunérations du ou des titulaires | – 36 | – 36 | – 72 |
Charges sociales personnelles du ou des titulaires | – 20 | – 20 | – 40 |
Impôt sur les sociétés | – 19 | – 22 | – 68 |
Résultat net | 68 | 75 | 159 |
Données exprimées en K€
* Ressources humaines jugées nécessaires :
- Pharmacie 800K€ comprenant un seul pharmacien titulaire : 1 préparateur temps plein + 1 préparateur mi-temps + 1 pharmacien remplaçant 4 à 5 semaines par an
- Pharmacie 900K€ comprenant un seul pharmacien titulaire : 2 préparateurs temps plein + 1 pharmacien remplaçant 4 à 5 semaines par an
- Pharmacie 1700K€ comprenant deux pharmaciens titulaires : 3 préparateurs temps plein + 1 pharmacien assistant mi-temps
Notre illustration démontre clairement que, si l’on se réfère aux moyennes, le cumul des bénéfices retirés par les pharmacies A et B est bien inférieur au résultat réalisé par la seule pharmacie C (- 16K€, soit – 10%).
En conclusion, il semblerait de tout point de vue bénéfique pour des pharmaciens, ayant pour projet de s’installer, de procéder à des opérations de regroupement dans la mesure où, d’une part l’investissement financier initial et donc l’apport à consentir dans le rachat de structures plus modestes seraient moindres, et d’autre part les résultats et perspectives de croissance seraient amplifiées via l’exploitation au sein d’une entité unique et de plus grande ampleur.
Néanmoins, il ne faut pas omettre que la justification de la mise en place d’une opération de regroupement se détermine au cas par cas. La situation géographique, l’évolution démographique, l’environnement médical ainsi que le contexte concurrentiel sont notamment des critères à prendre en considération afin de juger de la pertinence économique de l’opération.
Enfin, afin de démontrer concrètement l’intérêt que peut susciter un regroupement pour des pharmaciens ayant des velléités d’installation, voici un exemple concret reprenant un plan de financement ainsi qu’un prévisionnel réaliste pouvant résulter d’un regroupement.
Plan de financement :
PHIE A | PHIE B | |
CA HT | 800 | 900 |
Prix de cession moyen | 504 | 567 |
Droits d’enregistrement | 21 | 24 |
Honoraires et frais divers (commission intermédiaire, honoraires de rédaction d’actes, frais d’actes…) | 35 | 38 |
Besoin en fonds de roulement | 30 | 40 |
Investissement global |
590 | 669 |
1 259 | ||
Apports personnels | 150 | |
Emprunts rachats FDC sur 12 ans | 1 109 | |
Financement de rachats des 2 pharmacies | 1 259 | |
Emprunt travaux et aménagements sur 8 ans | 200 | |
Financement global | 1 459 |
Données exprimées en K€
La proximité géographique des pharmacies regroupées ainsi que le degré de concurrence environnante sont des facteurs qui aideront à déterminer le risque de déperdition de chiffre d’affaires suite au rapprochement. De plus, le choix du futur emplacement (local de l’une des pharmacies ou nouveau local), les travaux envisagés, les projets d’urbanisme et l’évolution prévisible de l’environnement médical, mais aussi l’orientation stratégique définie par les pharmaciens sur le plan commercial permettront d’apprécier les perspectives de croissance pouvant s’ouvrir à terme.
Prévisionnel :
CA HT | 1 700 * |
Marge brute globale | 543 |
Frais de personnel | – 120 |
Loyers | – 23 |
Autres charges externes | – 61 |
Rémunérations des deux titulaires | – 72 |
Charges sociales personnelles des deux titulaires | – 40 |
Intérêts d’emprunts | – 12 |
Dotations aux amortissements (travaux et aménagements) | – 25 |
Impôt sur les sociétés | – 48 |
Résultat net | 142 |
Données exprimées en K€
* Hypothèse d’une compensation de la déperdition de chiffre d’affaires par la croissance notamment engendrée par les travaux
La capacité d’autofinancement de 167 K€ permettra à l’officine de faire face aux remboursements de ses trois emprunts équivalant à 112 K€ sur l’année. Le surplus de 55 K€ pourra entre autres être investi dans le stock, conservé en trésorerie, ou bien distribué aux associés.
En l’espèce, le regroupement a permis aux deux pharmaciens de devenir co associés d’une structure réalisant 1,7 million de chiffre d’affaires, en consentant seulement 75 K€ d’apport personnel chacun.
Supplément : Pense-bête des questions pratiques préalables au regroupement
Modalités géographiques et structurelles | Modalités stratégiques et budgétaires |
ü Le choix stratégique de l’emplacement et du local
– L’exploitation dans le local de l’une des pharmacies regroupées ð Nécessité d’une forte proximité géographique entre les pharmacies ð Travaux de réaménagement généralement à prévoir – L’exploitation dans un nouveau local ð Investissements et travaux d’aménagements significatifs – La gestion des baux commerciaux ð Importance de la gestion du timing de l’opération de regroupement afin d’éviter la présence de double loyers (voir triple si exploitation sur un nouveau lieu) ð Démarches de résiliation des baux à enclencher dès lors que l’opération de regroupement est définitivement actée (signature des actes juridiques, obtention d’un éventuel permis de construire et des accords de financements nécessaires, validation de l’opération par le Conseil de l’Ordre des pharmaciens et l’Agence Régionale de Santé…)
ü L’analyse de la concurrence (directe et indirecte)
ü L’appréciation de la zone de chalandise – L’estimation de la proportion de conservation des chiffres d’affaires et perspectives d’évolution – L’étude de la population locale et perspectives d’évolution – L’étude des projets d’urbanisme en cours et/ou à prévoir – L’étude des prescripteurs environnants et évolutions prévisibles à court / moyen terme |
ü L’aménagement de la future officine
ü L’évaluation des stocks nécessaires – La limitation des doublons et du sur stockage de produits à faible rotation – L’entrée de nouvelles gammes / Les sorties de gammes
ü Le choix des différents partenaires post regroupement (grossiste-répartiteur, laboratoires, fournisseur informatique, expert-comptable, etc…)
ü La question de l’investissement dans l’automatisation (robot destiné à la PDA, à des gains de productivité au comptoir ou en back office)
ü La détermination des éventuels ajustements à opérer au niveau du personnel (départs / arrivées)
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