L’article 23 de la loi de finances pour 2022, voté et approuvé en fin d’année dernière, pourrait représenter une réelle aubaine fiscale pour les récents et prochains acquéreurs de fonds de commerce d’officines de pharmacies. Pour que chacun puisse se faire sa propre opinion, Thomas Grosse et Bruno Boirie, experts-comptables au sein de notre cabinet Extencia, membre du groupement CGP, décryptent ce texte et l’analysent sous tous ses angles.
En effet, le dispositif mis en place offre la possibilité aux acquéreurs de fonds commerciaux d’amortir, aussi bien comptablement que fiscalement, le prix d’achat dudit fonds sur une durée de 10 ans, sous réserve que l’opération de reprise soit réalisée entre le 1er Janvier 2022 et le 31 Décembre 2025. Il s’agit donc d’un régime temporaire puisqu’en dehors de la période d’application de cette mesure, le principe de non-déductibilité de l’amortissement du fonds commercial est inscrit dans la loi. Selon l’exposé des motifs et de manière générale, cette mesure devrait permettre, dans un contexte de sortie de crise liée à l’épidémie de Covid-19, d’apporter un soutien à la reprise de l’activité économique en encourageant les opérations d’acquisition et de reprise de fonds.
Afin de bien clarifier l’étendue du dispositif, la loi de finances rectificative parue en août dernier a prévu la mise en place d’une clause anti-abus dont le contenu consiste notamment à exclure les cessions de fonds au sein desquelles le cédant demeure majoritaire dans la société acquéreur du fonds, autrement dit les opérations de rachats à soi-même. Il en est de même pour les opérations d’apport d’entreprise individuelle en société ou de fusions pour lesquelles le dispositif demeure désormais fortement encadré.
Quels sont les bénéfices attendus ?
Ce régime temporaire instauré concerne notamment les petites entreprises définies à l’article L 123-16 du Code de commerce qui n’auront, par ailleurs, aucune obligation de justifier d’une durée limitée d’exploitation du fonds pour pouvoir prétendre à son amortissement fiscal étalé sur 10 ans. Les officines, dans leur écrasante majorité, sont et seront ainsi concernées puisque les entreprises visées sont simplement tenues de ne pas dépasser deux des trois seuils suivants : 12 millions d’euros de chiffre d’affaires, 6 millions d’euros de total de bilan, et 50 salariés. De plus, la durée d’exploitation illimitée des licences de pharmacies ne devrait pas entraver à l’éligibilité au dispositif car cette dernière n’aurait pas à être clairement définie pour être en droit d’amortir le fonds.
Concernant les pharmacies, se pose néanmoins la question de la distinction entre la notion du fonds de commerce et celle du fonds commercial dont il est précisément question dans le dispositif. La licence d’exploitation, si importante pour l’officine, peut-elle réellement être intégrée et donc être amortie ? Si non comment l’isoler concrètement ? Dans cette hypothèse, l’idée pourrait être de l’extraire de la valeur du fonds commercial racheté à une proportion similaire au pourcentage que représentent les médicaments remboursables dans le chiffre d’affaires de la pharmacie cible. Ces questions pourront donner lieu à des rescrits afin d’obtenir une position claire de la part de l’Administration fiscale sur ce sujet, et de pouvoir sécuriser la mise en place de l’option.
L’instauration de ce dispositif incite désormais logiquement les acquéreurs à porter un réel intérêt pour les rachats de fonds, au détriment des acquisitions de parts n’ouvrant pas droit à l’amortissement dont il est question. Néanmoins, en présence d’une transmission d’officine exploitée sous forme de société à l’IS, il s’avère très souvent du point de vue du cédant nettement plus judicieux de vendre les parts sociales ou actions pour des considérations de nature fiscale. Ainsi si l’on prend un peu de recul, et outre d’autres causes de nature inflationniste vis-à-vis desquelles le marché se retrouve aujourd’hui confronté, nous pourrions constater lors des mois à venir une relative augmentation des prix de vente des officines. En effet, s’ils souhaitent bénéficier de ce régime temporaire avantageux, les acquéreurs devront parvenir à convaincre les cédants de vendre leur fonds. C’est d’ailleurs ce phénomène d’inflation sur les prix de cession qui est fréquemment constaté lors des cessions d’officines en Zones de Revitalisation Rurale (ZRR), aboutissant indirectement à un « partage » de l’avantage fiscal entre acquéreur et vendeur.
Projections dans le futur
Afin d’étudier la possibilité d’avoir recours à une cession de fonds, des simulations sont donc désormais bien souvent à réaliser au cas par cas en vue de trouver une solution susceptible de satisfaire aux exigences et intérêts de chacun. D’autre part, si l’on se projette dans le temps, les acquéreurs d’aujourd’hui ou de demain qui auront bénéficié du régime et qui cèderont leur fonds de commerce pourraient subir une taxation accentuée, puisque les amortissements antérieurement pratiqués viendraient réduire d’autant le coût de revient retenu dans le cadre de la détermination de la plus-value imposable. Cependant, ils pourraient avoir la possibilité d’y échapper par le biais d’un apport préalable de leurs parts à une SPFPL qui cèderait ensuite les titres. Il faudra néanmoins s’assurer à ce stade que les capitaux propres n’aient pas été ou ne soient pas trop lourdement impactés à l’avenir par l’amortissement du fonds, afin de donner la faculté au nouvel acquéreur de percevoir les dividendes nécessaires à son financement.
Comparaison de l’achat d’un fonds avec et sans amortissement (simulation du cabinet Extencia)
L’étude de cas :
Rachat du fonds d’une pharmacie réalisant 1,936 million d’euros de CA HT. La présente simulation repose sur les statistiques du groupement d’experts-comptables CGP1, tant au niveau des prix de cession (CA moyen, multiple de l’EBE, apport moyen) qu’au niveau des rentabilités des pharmacies (marge, EBE, rémunération moyenne du titulaire). La simulation consiste dans un premier temps à comparer la situation “traditionnelle” et la situation “amortissement du fonds de commerce sur dix ans”. La valeur du fonds de commerce retenue pour notre étude ressort à 1,61 million d’euros, soit 6,38 fois l’EBE moyen selon les statistiques CGP. Les droits d’enregistrement et frais d’actes ont été évalués à 90 000 euros (pas de frais de transaction). L’apport théorique est de 255 000 euros et l’emprunt ressort à 1,445 million d’euros. L’acquisition du stock est financée par un crédit vendeur.
1.Ces données sont disponibles sur le site CGP.
En matière de trésorerie :
Il était bien entendu évident que l’amortissement du fonds de commerce serait favorable à la simulation : moins d’impôt donc plus de trésorerie. Nous constatons un différentiel de plus de 350 000 euros (460 000 – 106 000 = 354 000). Ceci provient en toute logique de l’économie d’IS engendrée par l’amortissement du fonds.
Que pouvons-nous tirer de cette situation ?
La capacité d’autofinancement supplémentaire peut permettre :
- De diminuer l’apport, donc de permettre à un jeune pharmacien d’accéder plus facilement à la propriété : l’amortissement du fonds de commerce peut être considéré comme un booster d’apport !
- De réduire la durée de l’emprunt, donc « d’économiser » des intérêts, mais est-ce vraiment un problème aujourd’hui compte tenu des taux, même si la tendance est à la hausse étant donné la situation économique ?
- De conserver une capacité d’investissement pour effectuer des travaux, un transfert…
- D’embaucher davantage pour exercer plus sereinement au quotidien…
Les idées ne manqueront donc pas pour profiter de cette opportunité.
Sur le plan juridique :
Cette évidence passée, le second constat est la position des capitaux propres : l’amortissement est une charge et réduit d’autant le résultat qui devient à l’évidence insignifiant dans cette simulation. Les capitaux propres [capital + réserves – reports à nouveau débiteurs (pertes)] doivent être supérieurs à la moitié du capital social. Si ce n’est pas le cas, une obligation juridique en résulte : il faut établir un procès-verbal de continuité d’activité avec une obligation de reconstitution des fonds propres dans les 2 ans.
Différentes possibilités s’offrent aux associés :
- Une augmentation de capital par incorporation du compte courant
- Un apport des associés (alors que la trésorerie de la pharmacie est pléthorique !)
A défaut : un tiers pourrait saisir le Tribunal de Commerce pour demander la dissolution de la société ! Cette hypothèse demeure, dans les faits, peu probable… Une première question se pose : quelle incidence en rapport avec le contrat de prêt ? Les banquiers prennent des garanties d’une part sur le fonds de commerce (qui n’aura plus de valeur comptable, conséquence de son amortissement) et d’autre part sur les parts sociales (qui auront perdu de la valeur si les capitaux propres se dégradent).
Une première solution consistera à constater l’apport uniquement en capital, et non à le répartir entre le capital social et les comptes courants d’associés. Ce qui aura pour mérite de solidifier les fonds propres de la société acquéreuse. Nous aurons donc de la trésorerie mais pas de compte courant pour la récupérer sans fiscalité… Un second aménagement pourra être retenu : l’amortissement des frais d’acquisition sur 10 ans en lieu et place d’une déduction immédiate afin de ne pas pénaliser le résultat et donc les capitaux propres dès le premier exercice. Enfin, il pourrait aussi éventuellement être envisagé de retenir une durée d’amortissement plus longue que 10 ans (15 ou 20 ans ?) en vue de minimiser les impacts sur les fonds propres exposés ci-dessus, puis de l’interrompre à la suite de la 10ème année d’activité.
Les solutions pouvant être à l’étude ne manquent pas et devront, quoi qu’il arrive, être confortées par des rescrits fiscaux le cas échéant. Mais retenons également que notre simulation reste très théorique car le résultat est pérennisé sur 10 ans. On peut espérer que la croissance liée à l’action du titulaire et à l’environnement de l’officine effacera en partie ces inconvénients. En effet, au-delà de la fiscalité et du juridique, il s’agit de la gestion d’une entreprise qu’il faut transformer en réussite économique. L’officine peut être amenée à s’agrandir, réaliser des travaux, à fusionner, à transférer…
Conséquences sur la vie de l’entreprise
Situation du pharmacien investisseur :
Si le titulaire a eu besoin d’un investisseur pour réaliser son installation, la mise de la totalité de l’apport en capital sera peut-être impossible selon le niveau d’apport de chacun. Il pourra, certes, récupérer une partie de son compte courant puisqu’il ne sera pas souhaitable que l’investisseur participe à l’augmentation de capital par incorporation de compte courant. Mais comment sortir ? Par une réduction de capital au profit du titulaire ou par une cession de parts ? Nous avons déjà la réponse à la première solution, les capitaux propres sont quasi inexistants, donc il est impossible de procéder à cette opération.
La cession de parts rejoint une autre préoccupation qu’est l’association exposée ci-dessous.
Comment s’associer en cours d’amortissement du fonds de commerce ?
Nous avons vu que le résultat net est proche de zéro. En conséquence, il est inenvisageable de distribuer des dividendes. Traditionnellement, nous constituons une SPFPL pour l’acquisition des parts, et les dividendes versés par la pharmacie doivent servir à rembourser le prêt. Cette situation sous-entend que l’associé entrant va devoir autofinancer la totalité des parts et frais puisqu’il ne pourra pas entrevoir le versement de dividendes à son profit. Bien sûr, n’oublions pas notre remarque sur le postulat théorique de notre simulation : un résultat récurrent sur toute la durée de la simulation.
A l’issue de la période d’amortissement ?
Si nous nous projetons dans 10 ans : période d’amortissement terminée, capitaux propres faibles, trésorerie élevée, valeur des parts théorique plus élevée. La problématique de l’association est différente puisque la pharmacie a retrouvé un résultat malgré la fiscalité, donc une capacité de distribution de dividendes. La véritable question est la suivante : qui va acheter une pharmacie dont le fonds de commerce est totalement amorti ? Pourquoi se poser cette question ? Quel est le risque ? Si le pharmacien doit vendre le fonds de commerce et non les parts, quelles sont les conséquences ?
- La plus-value sur le fonds (qui a été totalement amorti) est totale et génère une fiscalité à l’IS importante.
- La trésorerie résultante de la cession (après la fiscalité) est captive de la société.
- Soit le pharmacien réinvestit avec la société, soit il doit payer la Flat Tax pour récupérer les fonds à titre personnel.
- Dans cette situation, le bénéfice de l’avantage « départ en retraite » n’existe plus.
Attention ! Ces assertions ne valent que pour une société à l’IS.
Pourquoi un futur acquéreur ne voudrait-il acheter que le fonds de commerce et non les parts ? Tout simplement, pour éviter de se voir transférer le risque précédemment évoqué. La fiscalité latente sur le fonds de commerce peut présenter une moins-value sur la valeur des parts. Mais cette situation est-elle vraiment nouvelle ? Ne trouvons-nous pas déjà des sociétés dans lesquelles les fonds de commerce figurent à la valeur historique de leur apport ou de leur acquisition il y a des décennies ? N’oublions pas, d’une part, que les droits d’enregistrement sur les fonds de commerce présentent un taux plus élevé (5% au-delà de 200 K€), et d’autre part, que la valeur des parts tient compte des actifs et des passifs de la société, et donc présente très souvent une base de droits d’enregistrement plus faible, mais aussi un taux moindre (3%).
En conclusion, nous pouvons surtout penser que l’amortissement du fonds de commerce présente un avantage fiscal important et il convient d’adapter sa pratique à la situation propre de chacun. Ceci afin d’éviter toute mauvaise surprise à terme. Mais n’est-ce pas le principe du conseil ?